L'Économie du Couple
Une maison, deux ex-amants, la tourmente des sentiments dévorés par une vie commune. Lorsque la séparation apparaît comme salvatrice.
Encadré par une mélodie au piano de Bach, la complainte lancinante des volutes d’amour et de déchirement jubile ce récit touchant et sincère où les existences s’étiolent.
Carte d'identité :
Titre : L’Économie du couple
Réalisateur : Joachim Lafosse
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 10 août 2016
Durée : 100 minutes
Avec : Bérénice Bejo, Cédric Kahn
Synopsis :
« Après 15 ans de vie commune, Marie et Boris se séparent. Or, c'est elle qui a acheté la maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants, mais c'est lui qui l'a entièrement rénovée. À présent, ils sont obligés d'y cohabiter, Boris n'ayant pas les moyens de se reloger. A l'heure des comptes, aucun des deux ne veut lâcher sur ce qu'il juge avoir apporté. ».
HOME SWEET HOME
Tout démarre dans cette jolie et lumineuse maison. La caméra prend place au centre du foyer, comme un être mutique qui regarderait une scène sans oser broncher. Intimement introduit dans un quotidien banalisé, à la limite du voyeurisme, le regard se détache par une certaine froideur, une linéarité constante du récit qui force à l’impartialité du spectateur.
Éminence intégrale, la maison constitue donc un personnage à part entière. Représentation des tourments familiaux, nous subissons l’enfermement symbolique de ce simili huis-clos au même titre que les conjoints se confrontent physiquement et moralement dans un espace chargé de pensées néfastes et de chagrin. La chambre à coucher du couple en est réduite à un simple lit sur lequel aucune projection n’est possible tandis que le reste du champ de vision est empli de détails d’une vie antérieure qui n’est pour ainsi dire pas portée à notre connaissance.
Nous ne savons donc rien de leur passé, nous n’en apprendrons pas davantage sur leur vie de couple ni sur les raisons qui ont poussé l’un à détester l’autre.
‘’IL N’Y A QU’UN PAS ENTRE L’AMOUR ET LA HAINE’’
Dans ce climat on-ne-peut-plus anxiogène, ce sont donc deux entités qui s’affrontent. Un père de famille attendrissant et dévoué interprété par Cédric Kahn, et une mère dont les inquiétudes et le désarroi transpercent la magistrale Bérénice Béjo, éclatante de naturel. Tout en nuances, cette dernière complexifie les sentiments éprouvés, de la détresse au dépit en passant par la colère et la tristesse.
Ce sont deux mondes qui s’opposent, deux systèmes de valeur pas si catégoriques pourtant. C’est le passage de l’attirance des contraires à l’inadéquation des inverses. Le milieu d’origine questionne la jalousie et l’incompréhension de deux situations familiales diamétralement différentes, une bourgeoise pour un homme qui a bâti son existence sur le travail. Des études et un univers intellectuel qui se distinguent de la force manuelle. La femme au comportement social contre l’homme solitaire aux fréquentations douteuses, la rigidité d’une organisatrice à la souplesse précaire. Ne restent que leurs deux jumelles, l’incarnation de l’innocence juvénile et véritable vertu positiviste du scénario.
Lentement, il s’agit donc de les voir se déchirer, au travers de longs plans-séquence qui confèrent à l’univers s’effondrant une authenticité sans nul pareil. Pas l’ombre d’une crise hystérique, ni pathos flamboyant ou mièvrerie nostalgique. Seule la pureté d’un conflit qui transcende les motivations, qui va au-delà de leur volonté de parent de ne pas blesser leurs enfants adorés. En ce sens, Joachim Lafosse touche son public par un récit simplifié et universel. Tous les enfants qui entendent la querelle de leurs parents dans l’appréhension d’une séparation à venir, les divorcés et les adultes en couple pour qui le doute assaille souvent le quotidien imparfait.
« Ô TEMPS ! SUSPENDS TON VOL... »
À l’heure des comptes, l’arithmétique élémentaire qui vise à départager la valeur marchande du bien immobilier sert de masque. La vérité prêchée, celle recherchée et attendue, c’est celle de la reddition. À qui reviendra la difficile et lourde tâche de clore ce long chapitre de leur vie, de tourner la page brusquement et de stopper cette suffocation qui les empêche tous de vivre paisiblement ?
Le titre explique aussi une conception matérialiste des relations humaines : un échange de bons procédés, la valeur de ce que l’un apporte à l’autre, un gage de qualité, autant de mots pour qualifier un vocabulaire mercantiliste et consumériste du couple qui ne se comprend alors que comme un achat ou une location entre deux individus. C’est à ce titre que la garde des enfants n’est que très brièvement mentionnée, et particulièrement établie lors du jugement final, jugement qui sonne comme la rédemption d’une famille qui courrait tout droit à sa perte.